Induction de la tolérance chez un patient présentant une double hypersensibilité cutanée aux antituberculeux

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Induction of tolerance in a patient with dual skin hypersensitivity to antituberculosis drugs

Nsounfon Abdou Wouoliyou1*, Balkissou Adamou Dodo3, Djoukam Tchoupe Dorothée1, Ekongolo Marie Christine1, Kuaban Alain1, Pefura-Yone Eric Walter1,2

1Departement de Médecine Interne et Spécialités, Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales, Université de Yaoundé I, Yaoundé, Cameroun

2Hôpital Jamot de Yaoundé, Yaoundé, Cameroun

3 Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales de Garoua, Garoua, Cameroun

TO CITE: Nsounfon AW, Balkissou AD, Djoukam TD, Ekongolo MC, Kuaban A, Pefura-Yone EW. Induction de la tolérance chez un patient présentant une double hypersensibilité cutanée aux antituberculeux. The Papers of Medical Sciences 2020;1:e001.

KEYS WORDS:

Hypersensibilité, antituberculeux, accoutumance

ARTICLE INFO

 Received: 20th Febuary 2020

 Accepted: 21th May 2020

 Available online: 21th May 2020

Correspondence to:

Nsounfon AW, Email: nsounfonab@yahoo.fr

ISSN: 2663-7545

Copyright ©2020, Nsounfon et al. This is an open access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License, which permits unrestricted use, distribution and reproduction in any medium, provided the original authors and source are credited.

RESUME

Les réactions d’hypersensibilité aux antituberculeux sont rares. Néanmoins elles demeurent un problème au cours du traitement de la tuberculose quand elles surviennent et limitent ainsi les options thérapeutiques. Ces réactions entrainent  de nombreuses interruptions  de traitement, à l’origine de l’émergence des souches de tuberculose pharmaco résistante. Ainsi le diagnostic d’une intolérance aux antituberculeux doit être précoce, imposant non seulement une démarche rigoureuse à la recherche du médicament incriminé mais aussi une prise en charge adaptée. Le recours à l’accoutumance aux antituberculeux est une méthode fréquemment utilisée dans le but d’induire une tolérance médicamenteuse.

Nous rapportons un cas d’hypersensibilité aux antituberculeux chez un patient de 25 ans traité pour tuberculose péritonéale. Ce dernier a présenté une éruption maculopapuleuse prurigineuse généralisée survenue 48 heures après initiation de la quadrithérapie antituberculeuse de première ligne et ayant régressé 01 semaine après son interruption. La reprise du traitement a entrainé une réaction similaire, ayant justifié l’arrêt définitif. Les médicaments en cause identifiés étaient la rifampicine et le pyrazinamide après réalisation des tests allergologiques. Il a été induit une tolérance médicamenteuse par un protocole bien détaillé avec succès pour la rifampicine et échec pour le pyrazinamide. Le patient a été traité par l’association rifampicine, isoniazide et éthambutol pendant 2 mois, suivie d’une bithérapie faite de rifampicine et isoniazide pendant 7 mois. Il n’a présenté aucune manifestation au cours du traitement et a été déclaré traitement terminé selon le protocole national de prise en charge de la tuberculose.
Mots-clés :
Hypersensibilité, antituberculeux, accoutumance

ABSTRACT

Hypersensitivity reactions to anti-tuberculosis drugs are rare. Nevertheless, their occurrence during the treatment of tuberculosis (TB) is problematic as it limits the options that can be used for treatment of the patient. These reactions lead to numerous interruptions of treatment, which can be responsible for the emergence of drug-resistant tuberculosis strains. Thus, the diagnosis of intolerance to anti-tuberculosis must be early, with rigorous search for the drug involved and appropriate management. Drug dependence is often used to induce drug tolerance. We present a case of anti-tuberculosis hypersensitivity in a 25-year-old patient treated for peritoneal tuberculosis. He had a generalized pruritic maculo-papular rash that started 48 hours after initiation of first-line anti-tuberculosis treatment and regressed 1 week after discontinuation. On resuming the treatment a similar reaction occurred and this led to definitive discontinuation of the treatment. The identified medications were rifampicin and pyrazinamide after allergy testing. Drug tolerance was induced using a detailed protocol with success for rifampicin but failure for pyrazinamide. The patient was then treated with a combination of rifampicin, isoniazid and ethambutol for 2 months, followed by treatment with rifampicin and isoniazid for 7 months. He did not show any manifestations during treatment and was declared treatment completed as per the national TB guidelines.

INTRODUCTION 

Le traitement de la tuberculose se fait par l’utilisation d’antituberculeux selon des protocoles bien standardisés [1]. Ce traitement expose cependant à la survenue d’effets secondaires parmi lesquels les réactions d’hypersensibilité pouvant conduire à l’arrêt ou au changement thérapeutique. Les réactions d’hypersensibilité aux antituberculeux, bien que peu fréquentes, demeurent un problème au cours du traitement de la tuberculose quand elles surviennent, limitant ainsi les options thérapeutiques [2]. De ce fait, on a le plus souvent recours à l’accoutumance qui permet d’induire une tolérance médicamenteuse. Nous rapportons un cas d’hypersensibilité à deux antituberculeux (rifampicine et pyrazinamide) chez un patient de 25 ans traité pour tuberculose péritonéale.

CAS CLINIQUE

Il s’agit d’un patient de 25 ans, camerounais, adressé au service de pneumologie de l’Hôpital Jamot de Yaoundé (HJY), Cameroun, pour hypersensibilité aux antituberculeux.

En effet ce dernier aurait présenté quatre mois plutôt un ballonnement abdominal progressif associé à une douleur périombilicale d’aggravation progressive à type de crampe sans trouble du transit, en contexte de fièvre, hypersudation nocturne et amaigrissement d’environ 08 %. Ceci aurait motivé une consultation un mois plus tard dans un service de chirurgie où une laparotomie exploratrice a été faite sous anesthésie générale avec comme trouvailles : de multiples granulations blanchâtres envahissant toute la cavité péritonéale associées à un épanchement péritonéal important d’aspect jaune citrin. L’analyse anatomopathologique des fragments de biopsie des franges épiploïques a mis en évidence un tissu fibro-graisseux contenant de nombreux foyers granulomateux avec participation de cellules géantes multinucléées et une absence de malignité. Le diagnostic de tuberculose péritonéale a été retenu. Les suites opératoires étaient sans complication et le patient a été mis sous quadrithérapie antituberculeuse trois semaines plus tard à la posologie de 4 comprimés/jour. L’évolution au deuxième jour de traitement a été marquée par une éruption cutanée prurigineuse maculopapuleuse généralisée qui a justifié l’interruption de traitement avec disparition des lésions au bout d’une semaine. La reprise du traitement trois semaines après a entrainé l’apparition de symptômes similaires au troisième jour, ce qui a justifié l’arrêt définitif de ce celui-ci. Le patient dès lors a été adressé  au service de pneumologie pour la suite de prise en charge. 

Le patient a comme antécédent contributif un contage tuberculeux étroit. A l’admission l’examen clinique du patient était normal en dehors d’une cicatrice de laparotomie médiane. L’examen cutané n’a pas retrouvé de lésions éruptives récentes ou sequellaires. La numération formule sanguine (NFS) initiale était sans particularité et la sérologie VIH était négative.

Le prick test réalisé a mis en évidence une sensibilisation à la rifampicine ; le patch test lu à 72 heures a mis en évidence une réaction cutanée douteuse à la rifampicine et une réaction vésiculeuse (<50%) au pyrazinamide. Le patient a été admis en hospitalisation pour la réintroduction du traitement antituberculeux. La première étape a consisté à déterminer la dose thérapeutique pour chaque antituberculeux qui était respectivement de 600 mg, 300mg, 400 mg et 800 mg pour la rifampicine (R), l’isoniazide (H), l’éthambutol (E) et le pyrazinamide (Z). Ensuite nous avons procédé à une dilution de chaque antituberculeux à 10-6. L’administration des solutions ainsi constituées s’est faite sur une durée de trois jours pour chaque antituberculeux en débutant par les moins incriminés selon l’ordre H – E – Z – R. Nous avons débuté à des doses infrathérapeutiques qu’on doublait toutes les 30 minutes sous surveillance médicale étroite, avec pour objectif d’obtenir une dose cumulée journalière égale à la dose thérapeutique à la fin du 3ème jour (tableau I).     La réintroduction progressive du pyrazinamide à la dose de 800 mg est suivie 9 heures de temps plus tard par l’apparition d’une éruption maculopapuleuse prurigineuse généralisée (figure 1) sans atteinte des muqueuses, ni fièvre. Cette symptomatologie a régressé en trois jours après l’arrêt du pyrazinamide et prescription d’antihistaminique. La réintroduction de la rifampicine et des autres antituberculeux s’est déroulée sans incident.

Le patient a ainsi été mis sous protocole RHE pendant 2 mois suivi du RH pendant 7 mois. L’issue thérapeutique de la maladie après traitement bien conduit était un succès.

Tableau I: Protocole de réintroduction des antituberculeux

Horaires    Jour 1     Jour 2   Jour 3
 EHZREHZREHZR
8:300.00040.00030.00080.00060.20480.15360.40960.307210075200150
9:000.00080.00060.00160.00120.40960.30720.81920.614410075200150
9:300.00160.00120.00320.00240.81920.61441.63841. 2288200150400300
10:000.00320.00240.00640.00481.63841. 22883.27682.4576    
10:300.00640.00480.01280.00963.27682.45766.55364.9152    
11:000.01280.00960.02560.01926.55364.915213.10729.8304    
11:300.02560.01920.05120.038413.10729.830426.214419.6608    
12:000.05120.03840.10240.076826.214419.660852.428839.3216    
12:300.10240.07680.20480.153652.428839.321610078.6432    
13:000.20480.15360.40960.307210075200150    

*L’unité est le mg. E: Ethambutol; H: Isoniazide; Z: Pyrazinamide; R : Rifampicine

Figure1 : Eruption maculopapuleuse au niveau des avant-bras et de la cuisse droite 

DISCUSSION

L’accoutumance aux antituberculeux s’est déroulée sans incident pour l’isoniazide, l’éthambuthol et la rifampicine ; cependant le patient a développé  une réaction au pyrazinamide à type d’éruption maculopapuleuse prurigineuse généralisée.

En effet, les manifestations d’hypersensibilité aux antituberculeux sont rares avec une prévalence qui varie  entre 1-5% [3–5], allant d’une simple réaction allergique à un choc anaphylactique pouvant engager le pronostic vital. Elle concerne tous les antituberculeux dont l’imputabilité varie selon les études. Dans la série de Dutt et al [4] portant sur 814 patients, la rifampicine était responsable de 61 % de l’ensemble des réactions allergiques, alors que l’isoniazide n’était responsable que de 35 % des cas. Par contre dans l’étude de Fekih et al [3] les antituberculeux les plus incriminés dans l’allergie étaient respectivement  le pyrazinamide (28 % des cas) suivi de la rifampicine (23 % des cas).

Il existe de nombreux facteurs de risque qui sont incriminés dans la genèse de l’allergie aux antituberculeux parmi lesquels l’âge avancé, le sexe féminin, et le terrain d’immunodépression [2]. Tel n’était pas le cas de notre patient chez qui on ne retrouvait aucune de ces caractéristiques. De nombreux cas similaires sans facteurs de risque apparent ont été décrits [6]. Ceci pourrait traduire l’existence des prédispositions génétiques ou d’autres facteurs de risque et expositions environnementaux qui pourraient être à l’origine de ces réactions d’hypersensibilité.

Le diagnostic de certitude d’une hypersensibilité aux antituberculeux peut se faire par des tests allergologiques cutanés dont le prick test et le patch test [7]. Ces derniers nous ont permis de mettre en évidence une réaction cutanée à la rifampicine et au pyrazinamide. Après cette étape, la réintroduction des antituberculeux à des doses progressives a été débutée par le médicament le moins suspect dans l’ordre suivant : isoniazide, éthambutol, pyrazinamide et rifampicine.

Malgré la réaction à la rifampicine mise en évidence par les tests d’hypersensibilité, la réintroduction de cette dernière s’est déroulée sans incident telle que retrouvé dans d’autres études [8,9]. En effet malgré la diversité des protocoles utilisés, les résultats de l’accoutumance à la rifampicine sont en général favorables, avec un taux de succès atteignant 77 % [10]. Nous n’avons pas obtenu une tolérance au pyrazinamide contrairement à une étude marocaine utilisant le même protocole d’accoutumance que le notre [11]. Bien que les réactions allergiques apparaissaient  dans 25% des cas dès la première prise de pyrazinamide, Mejri et al [12] ont montré que le délai moyen d’apparition des réactions d’hypersensibilité était de 11 ± 9 jours (dont le pyrazinamide est incriminé dans 62% des cas). 

CONCLUSION

Les effets secondaires des antituberculeux posent un réel problème dans la pratique clinique quotidienne. Un renforcement de la pharmacovigilance des antituberculeux est nécessaire pour une meilleure prise en charge des patients présentant des intolérances aux antituberculeux. Le recours à l’accoutumance aux antituberculeux permet la plupart de temps de limiter la modification du protocole thérapeutique standard. Ce manuscrit décrit une solution claire et applicable dans le contexte africain.

Conflit d’intérêt : Aucun pour tous les auteurs

Contribution des auteurs : Tous les auteurs ont contribué à la rédaction de cet article.

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